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- Une dernière chance

L'eau glaciale la tétanise. Elle a si froid. Elle a fendu l'air, puis fendu l'écume dure et ténébreuse. Elle est surement restée inconsciente quelques instants. Mais elle est vivante.

Elle se retrouve immergée au milieu de cette immense masse noire, se débattant pour survivre. Ses os et ses muscles s'engourdissent lentement et cela devient difficile de garder la tête hors de l'eau. Les remous du fleuve offrent à sa bouche un mélange vaseux à chaque respiration.

Mais pourquoi a-elle sauté ?

Elle revoit les images. Le déroulement des événements terribles de cette journée. De sa vie entière. Elle se remémore les scènes d'une façon encore si nette, si réelle, qu'elle n'est même plus très sûre d'être vraiment en train de se noyer.

Depuis combien de temps est-elle là ?

Elle ne sait plus si elle a froid ou chaud , si les larmes qu'elle sent rouler sur ses joues ne sont pas qu'un peu d'embrun qui retombe, ou si la nuit qui dure là, au dessus d'elle n'existe pas que dans son cerveau confus. Elle sent qu'elle est en train de sombrer.

Finalement c'est ce qu'elle voulait non ?

Mourir.

Mais pas de cette façon là. Elle, elle voulait que se soit rapide, violent et irréversible. En une seule fois. Sans souffrir. Car finalement elle le sait, c'est pour ça qu'elle a sauté. Pour que la douleur cesse.

Enfin.

Et c'est pire. A présent ses poumons brûlent à l'intérieur de sa poitrine et ses jambes bleues et gelées la torturent à chaque mouvement. C'est la fin.

Elle le sait.

Pourtant, elle ne veut plus que ça s'arrête.

Elle a peur. Une peur plus forte que celle de ses maux anciens, une peur plus puissante que sa propre peur de la vie. Une peur irrationnelle qui la paralyse viscéralement. Elle a peur de la mort. Elle voudrait tant remonter sur ce pont et ne pas enjamber la balustrade. Revenir en arrière.

Ne plus vouloir mourir.

Ne PAS mourir !

Mais c'est trop tard... Et de le savoir est abominable.

Alors elle ferme les yeux et décide de se laisser porter par le courant. De se laisser vaincre par cet ennemi qu'elle a elle même choisi de défier. D'abdiquer. De laisser les méandres glacés engloutir son corps meurtri.

Derniere chance

Elle a chaud. C'est étrange cette sensation de bien être tout à coup.

Est ce que c'est ça la mort ?

Cette impression de douceur apaisante ?

Elle n'a qu'un seul désir là, tout de suite, c'est de pouvoir rester blottie dans cette coquille de plénitude pour l'éternité.

Mais quelque chose vient de la frôler. On dirait une main. Une main humaine. Et une voix aussi. Une voix lointaine dont l'écho se rapproche lentement. Elle garde les yeux fermés et essaye de se concentrer.

La voix d'un homme. Douce et rassurante. Dieu ?

Est-elle déjà au paradis ?

Pour en avoir le cœur net, elle soulève légèrement ses lourdes paupières, une à une. Le visage d'un ange apparaît. Enfin, elle imagine que c'est un ange tant ce faciès est gracieux. Il lui sourit tendrement.

Mais qui est-il ?

- Mademoiselle ? Ça va aller ? Vous avez dû tomber à l'eau, je vous ai aperçue inconsciente, flottant au milieu du fleuve. J'ai plongé sans réfléchir pour vous venir en aide.

Mademoiselle, vous m'entendez ?

Aucun mot n'est encore capable de franchir le seuil de ses lèvres, mais elle réussit tout de même à lui sourire à son tour.

- Me voilà rassuré ma belle. Je m'appelle Michel et je vais te conduire à l'hôpital, ne t'inquiète pas.

Elle réalise alors que l'inconnu au joli sourire, à la voix douce et aux yeux tendres, qui dit s'appeler Michel, la porte dans ses bras. Que c'est l'enveloppe corporelle de cet étranger qui lui procure autant de sérénité et de bien être. Elle ne voudrait plus jamais que Michel ne la repose. Elle ne voudrait plus jamais avoir à quitter ses bras, ce cocon douillet et protecteur.

Alors elle referme les yeux et profite de chaque seconde qui s'écoule. Elle voudrait que le temps s'arrête sur ce moment précis. Elle sait qu'il est là, sur terre, son paradis.

Elle entend d'autres voix, masculines et féminines. Des gens qui se sont arrêtés pour la secourir, eux aussi. L'humanité n'est peut être pas si pourrie après tout.

Le bruit d'une portière maintenant. Michel l'installe à l'avant du véhicule, juste à côté de lui.

- ça va aller tu verras, dans quelques minutes nous serons à l'hôpital. Tu es sauvée. Tu as eu de la chance que je passe par là et que je te repère dans l'obscurité.

C'est ce qu'elle se dit justement, qu'elle a beaucoup de chance. Elle qui ne supportait plus la tristesse et la médiocrité de son existence, elle qui voulait si férocement mettre fin à ses jours, la voilà aux côtés d'un homme bon et sincère qui ne demande qu'à l'aider. Et elle a entendu toutes ces personnes présentes, qui s'inquiétaient pour elle. Ça lui réchauffe tellement le cœur. Elle peut enfin à nouveau croire au bonheur !

La vie peut être belle finalement !

Elle appuie sa tête contre la vitre ,un sourire radieux sur son visage apaisé pendant que la voiture démarre. Michel la réconforte en lui parlant doucement. Elle va être enfin heureuse, elle le sait. Elle le sent. Plus que tout au monde, maintenant, elle veut vivre !

Une joie intense l'envahit tandis que Michel s'engage sur la nationale. 

 

Elle a si froid. Elle a fendu la tôle dure et froissée, puis elle a fendu l'air. Elle est sûrement restée inconsciente quelques instants.

Au loin, des sirènes retentissent. Là, tout près d'elle, Michel git dans une mare de sang.

Depuis quand est-elle là ?

Elle ne sait plus si elle a froid ou chaud, si les larmes qu'elle sent rouler sur ses joues ne sont pas qu'un peu de rosée qui retombe, ou si la nuit qui perdure là, au dessus d'elle, n'existe pas que dans son cerveau confus. Elle sent qu'elle est en train de sombrer...

Finalement c'est ce qu'elle voulait non ?